Joseph Billig, Editions du Centre, Paris 1955/60
Le premier tome (1955) décrit les prémices de l'action antisémite et les raisons de la création du CGQJ. Il présente l'évolution de ses structures, les personnalités qui l'ont dirigé et l'activité du CGQJ sous les différentes directions.
Un avis du Conseil d'Etat estima que l'esprit de la loi antisémite avait été d'interdire aux juifs l'accès et l'exercice de toutes les fonctions "de nature à conférer une influence ou une autorité quelconque".
Le deuxième tome (1957) comprend trois parties :
Le troisième tome (1960) est consacré à la spoliation des juifs. L'aryanisation était orchestrée par le MBF qui était en liaison avec la CGQJ, et un chapitre est dédié au SCAP, Service de Contrôle des Administrateurs Provisoires. Il étudie le rôle de la Caisse des Dépôts et Consignation et celle du Service des Domaines dans la spoliation financière des juifs.
Informations utiles à la compréhension de ce qui s'est passé à Bordeaux.
La Police antijuive
Elle fut instituée en octobre 1941 sous la forme d'un Service d'inspection du CGQJ, rattaché au Secrétariat d'Etat à l'Intérieur, et surtout affecté à des enquêtes sur l'aryanisation des biens juifs. (Sous Vichy, les ministères étaient des secrétariats d'Etat).
En janvier 1942, elle fut transformée en Police des Questions Juives (PQJ), rattachée au Secrétariat général de la Police. En fait, René Bousquet et Pierre Laval voulaient la dissoudre, mais les SS exigèrent son maintien. Elle fut maintenue sous l'appellation de Section d'Enquête et de Contrôle (SEC) en août 1942, et rattachée au CGQJ.
Elle ne fut donc jamais sous le contrôle du Sous Secrétariat d'Etat à l'Administration dont dépendait les secrétaires généraux des préfectures.
Cette police antijuive était censée être provisoire, et ses inspecteurs n'avaient pas le pouvoir de police judiciaire. A l'époque où Maurice Papon était à Bordeaux, la PQJ venait d'être remplacée par la SEC, et celle-ci opérait différemment en zone libre et en zone occupée. En zone libre, les inspecteurs de la SEC faisaient des rapports aux commissaires de la police nationale qui devaient arrêter les contrevenants et légaliser les arrestations. Dans de nombreux cas, la police nationale ne donnait pas suite, ou effectuait des contre enquêtes. L'étude de Joseph Billig cite de nombreux exemples de protestation de délégués régionaux de la SEC qui accusaient la police nationale de saboter son travail. En zone occupée, les inspecteurs de la SEC, qui étaient le plus souvent des antisémites virulents, signalaient aux SS les contrevenants aux ordonnances allemandes. Les SS assuraient eux-mêmes les arrestations et remettaient les contrevenants à la garde de la gendarmerie, ou bien ils ordonnaient à la gendarmerie ou à la police nationale d'arrêter ces contrevenants.
Joseph Billig rapporte que la Préfecture Régionale de Bordeaux se signala par son opposition à la SEC. Il cite deux cas.
Cas 1 : Page 31 : La SEC accuse l'Intendant de Police de saboter son action.
….Chenard, délégué régional à Bordeaux, communique le 1ier juillet 1942 au chef de la PQJ à Paris :
"Ainsi que je vous l'ai signalé, Monsieur L'Intendant n'avait pas voulu procéder aux arrestations de ces trois juifs ainsi que nous lui avions demandé à l'instigation des services du Commandant Hagen.
Ceux-ci ont alors écrit au Commissaire Poinsot, le chargeant de ces arrestations.
Aujourd'hui, le Capitaine Doberschutz, des services de la Sicherheits-polizei (Commandant Hagen) nous ont appris que ces juifs n'ont pu être arrêtés, ayant tout simplement… disparus, en zone libre probablement.
Nous ne nous étonnons plus qu'il y ait eu des fuites. Mais le Capitaine Doberschutz ne nous a pas caché son mécontentement de toute cette affaire et de l'attitude de Monsieur l'intendant de Police et de ses services. (CVI – 97)"
Remarque : Voir aussi le diagramme de la collaboration forcée.
CAS 2 : Les conflits entre la SEC et la préfecture régionale.
Une fonction assignée au service des questions juives de la Préfecture était la tenue à jour du fichier des juifs, suivant les ordres de la SEC. Billig donne des informations sur la lutte sourde de la Préfecture contre la SEC qui l'accusait de saboter le travail.
En novembre 1943, les SS effectuèrent une rafle et organisèrent un convoi vers Drancy sans que la Préfecture en soit informée. (Voir à ce sujet les documents présentés sur ce site). Le délégué régional de la SEC était alors, par intérim, Lucien Dehan qui était un collaborationniste antisémite qui aidait les SS. In fine, le Préfet régional obtint de Haffner, alors Directeur de la SEC, que Dehan soit congédié. Dehan s'engagea alors dans la Milice, mais les SS le regrettaient. Haffner fut alors remplacé par Paul Besson, antisémite virulent, qui avait été, lui aussi, congédié du poste de Directeur régional de la SEC à Rouen sous la pression du Préfet Régional de Rouen. Ainsi les SS imposaient-ils toujours les plus antisémites aux postes de direction.
Remarque : Cette présentation des faits par J. Billig a été faite aux vues des documents retrouvés au siège du CGQJ, mais l'examen des documents retrouvés à Bordeaux montre que ce fut le plus souvent Maurice Papon qui menait le combat contre Dehan. En effet, les documents "signés Papon" étaient le plus souvent rédigés par ses subordonnés, mais le Préfet régional demandait à Maurice Papon de préparer les notes destinées aux échelons hiérarchiques supérieurs, et les "projets" de Maurice Papon étaient souvent édulcorés par le Préfet Sabatier qui était plus prudent.
Le SCAP
Le service de contrôle des administrateurs provisoires recrutait ces administrateurs souvent dans le milieu des retraités de l'armée, de la magistrature ou de l'administration. Comme les inspecteurs de la SEC, ils avaient le pouvoir de décision mais devaient faire légaliser leurs décisions administrativement par la Préfecture.
Remarques :
La plus grande part du travail du Service des questions de juives de la Préfecture, dirigé par Garat puis par Dubarry sous l'autorité Monsieur Papon, était d'officialiser les décisions des administrateurs et celles des syndics de liquidation des entreprises juives. On comprend pourquoi ce service, sans autorité, avait un personnel très jeune, mais aussi qu'il avait parfois la possibilité de faire traîner les choses. La consigne de Mauroce Papon était : "Pas de zèle". Il veilla à ce que les opérations inévitables se fassent dans la régularité, et cela permit les restitutions à la Libération sans aucune contestation. Les dossiers de dommages de guerre et de restitution ont été pilonnés (ils représentaient 1,5 Km linéaires) à l'exception de ceux de Paris et ceux de la Gironde.
Une thèse de Martine Soète étudie1 la composition du corps des administrateurs provisoires. Elle remarque que, début 1943, alors que l'on pouvait penser qu'Hitler perdrait la guerre, l'activité de ces administrateurs, diminua fortement. Curieusement, l'auteur, comme Joseph Billig, n'a pas fait la moindre allusion au rôle des services des questions juives des préfectures dans son étude. On sait que l'activité de celui de la Gironde diminua fortement, certains auteurs parlant même de dissolution de ce service fin 1943. En effet les administrateurs du SCAP démissionnaient, et la SEC, soutenue par les SS, finit par s'emparer du fichier des juifs.
Conclusion.
La présentation du CGQJ par Joseph Billig reste un document de base de l'étude de l'époque, malgré quelques erreurs.
Quand Robert O. Paxton a écrit que l'extermination des juifs avait bien été le fait de l'Allemagne, mais qu'il y avait eu un antisémitisme propre à Vichy visant à exclure les juifs de la Nation, certains journalistes ont crié à la découverte parce qu'ils n'avaient pas lu l'ouvrage de J. Billig. En effet dans son introduction, il rappelle le déclaration très nette de Xavier Vallat :
"La loi Alibert – pour lui donner plus commodément le nom du Garde des Sceaux qui en avait pris l'initiative – ne doit rien au nazisme."
Il rappelle aussi la déposition de du Moulin de Labarthète :
"L'Allemagne ne fut pas à l'origine de la législation antijuive de Vichy. Cette législation fut, si l'on peut dire, spontanée, autochtone."
L'étude de Billig montre que le corps préfectoral, dans sa majorité, n'approuvait pas l'antisémitisme du gouvernement de Vichy, et elle regorge d'exemples où des Préfets ont tenté de s'opposer, dans la mesure de leurs moyens, aux déportations. Aucun secrétaire général de préfecture n'est cité, mais la Préfecture de Bordeaux est la plus citée parmi celles qui ont combattu les antisémites, et l'on sait, par ailleurs, que Maurice Papon était plus impliqué que son Préfet dans ce combat.
Notes : 1 - Thèse de doctorat, Paris 1985.