Jacques Villette :

Pour la réhabilitation de Maurice Papon

Le Procès de Maurice Papon
Compte rendu sténographique, Albin Michel

Nous avons repris l'analyse critique de ce compte rendu, après la diffusion du procès sur INTERNET par l'INA, Institut National de l'Audiovisuel.

Ce compte rendu en 2 tomes de 950 pages chacun est d’un accès ardu. Il est incomplet et l'adjectif sténographique apparaît abusif à qui a un peu suivi la transmission intégrale du procès par l'I.N.A.. Il comporte en effet de nombreux résumés d'audience ou de témoignages. La justification de l’occultation de certains débats a été qu’ils étaient trop longs pour ce qu’ils apportaient à la manifestation de la vérité. Dans certains cas, la simple observation du minutage des débats permettait déjà de déceler qu'il s’agissait d’une véritable censure.

Néanmoins, ne disposant que ce compte rendu, sa lecture était déjà instructive de l'ambiance du procès. On constatait que les parties civiles avaient protesté vigoureusement pour que le procès ne soit pas perturbé par les manifestations extérieures. Mais la lecture des journaux de l’époque montrait qu’elles avaient systématiquement provoqué des manifestations à l’extérieur du tribunal pour influencer les jurés.

La lecture de certaines tirades des avocats des parties civiles porte certainement à l’antisémitisme primaire. On peut vraiment douter que les méthodes utilisées en cour d’assises puissent faire connaître la vérité sur des évènements vieux de 55 ans. La quasi-totalité des dépositions des parties civiles n'étaient que le reflet de ce qu’elles croyaient avoir entendu dire, quand il ne s'agissait pas de simples mensonges dictés par les avocats, alors que les témoignages écrits de responsables contemporains des évènements étaient négligés. Ainsi le 12 janvier, la cour consacra 1 H 55 mn à entendre Yvette Silva qui n’était pas née à l’époque des faits. Elle raconta ce que lui avait dit, 25 ans après les faits, la sœur du père de son mari, et fit des déclarations contraires à la déposition que cette personne avait faite juste après la guerre. Par contre, le président bâcla en une heure, le 25 février, la lecture des dépositions de Geneviève Thieuleux, Roger-Samuel Bloch, Guy de Saint-Hilaire, Gaston Cusin et Jacques Chaban-Delmas, sans prendre la peine de rappeler qui étaient ces personnes à l’époque des faits.

Mais maintenant que nous avons pu suivre intégralement des audiences, on peut mesurer l'étendu de cette censure très orientée, qui affecte particulièrement les dépositions des témoins favorables à Maurice Papon. Citons quelques exemples :

Le compte rendu de la déposition de Roger-A Lhombreaud tient en deux pages et quart, alors qu'elle dura 1 h 10 m d'après le minutage. Les questions posées par le Président en vue de déstabiliser le témoin, du type : "Êtes vous antisémite ?" et toutes les questions des avocats des parties civiles ont été passées sous silence.

Un exemple encore plus frappant est celui de la déposition de Jean Morin, qui était à la Libération Directeur du personnel du ministère l'Intérieur, sous l'autorité d'Adrien Tixier, ministre de l'Intérieur du gouvernement provisoire, et qui fut responsable de l'épuration du corps préfectoral. Sa déposition du lundi 2 mars 1998, portant sur l'épuration et l'accusation que Maurice Papon n'ait pas été un vrai résistant, tient, dans le "Compte rendu sténographique", sur une page et quelques lignes, alors que la durée de cette déposition et des contre interrogatoires par les parties civiles fut de 2 H 50. Jean Morin a expliqué qu'il avait longuement préparé sa déposition en consultant ses papiers personnels de l'époque, et il parlait très rapidement. Le corps de sa déposition fut très riche en enseignements sur ce que fut l'épuration en 1944. Le contre interrogatoire de Maître Touzet, qui s'obstina à prétendre qu'un document signé d'un certain Arnoult était en fait signé du Colonel Olivier, chef du réseau Jade-Amicol, fut un sommet de désinformation. Si le colonel Olivier, s'appelait effectivement Arnoult, ce ne fut certainement pas le Arnoult qui avait signé ce document qui disait l'inverse de tous les autres témoignages contemporains. A cette époque, le colonel Olivier signait tous les documents sous son pseudo de Résistant : C.Olivier.

Le plus fâcheux est que cette censure est cachée, car les raccourcis de témoignages ne sont pas signalés par des points ou des guillemets. Pierre Somveille, qui fut présent à Bordeaux à partir de mai 1944, prit la peine de décrire son origine très modeste ─ il était orphelin de père très jeune et sa mère, femme de ménage, l'éleva seule ─ pour expliquer qu'il avait un poste très modeste dans l'administration, et que, s'il fut présenté à Maurice Papon à son arrivée à Bordeaux, il n'eut jamais l'occasion de travailler avec lui avant la Libération. Cela n'est pas dit dans le compte rendu (tome 2 page 625) : était-il fâcheux d'écrire qu'un Préfet de Police en retraite était le fils d'une femme de ménage ?

Elise Poux, qui a épousé, en 1952, J. Milhat qui était dans le groupe Moniot du réseau Jade-Amicol, a déposé que son mari ne lui avait parlé de la résistance de Maurice Papon qu'en 1986, et elle a précisé simplement que son mari "doutait" de la résistance de Maurice Papon. Le compte rendu dédie trois pages à cette déposition, alors qu'Alain Perpezat, qui était le chef de la région de Bordeaux dans Jade-Amicol, a précisé (page 548) que le réseau était cloisonné et que : " Moniot qui habitait à 100 mètres de Souillac ne connaissait pas Papon".

On pourrait multiplier les exemples de dépositions qui n'avaient pas leur place devant une cour d'assises où l'on jugeait un homme pour ses actions en pays occupé par les Allemands, et où la police française avait été placée sous l'autorité des SS, et qui sont reprises en détail dans le compte rendu, lorsqu'elles étaient défavorables pour Maurice Papon. Nous pensons aux dépositions de personnes qui n'apportaient aucune information utile, et qui ne pouvaient pas en avoir, car trop jeunes à l'époque des faits, ou qui n'étaient même pas en France occupée, comme Samuel Pisar, le grand rabbin de France Joseph Sitruk (né en 1944 à Tunis, qui déclare qu'il y avait très peu de juifs étrangers en France), Henri Leclerc au nom de la Ligue des Droits de l'Homme, Richard Sabban ....

Devant ces constatations, nous pensons que seul le maintien de l'accès permanent à tous les enregistrements du procès serait vraiment démocratique. Le coût de cette mise à disposition par INTERNET, compte tenu de la banalisation des fibres optiques, serait nul.