Jacques Villette :

Pour la réhabilitation de Maurice Papon

Paris 1961.

Algerians, State Terror, and Memory


De Jim House et Neil Macmaster,

Oxford University Press.

Je désigne les auteurs par H & M.

Ce livre est totalement orienté contre Maurice Papon, à un degré qui frise le ridicule. C'est sans doute pour attirer l'attention que House et Macmaster lancent des affirmations qui les font entrer dans la catégorie des Robert Faurisson et David Irving. La seule partie utile de ce livre est la description de l'organisation de la Préfecture de police lors des évènements d'octobre 1961, et la description de l'action de la "Force auxiliaire de police" (les harkis de Paris). Nous ne pouvons pas passer en revue toutes les contre vérités de ce livre, car il est plus long de démentir une contre vérité que de l'écrire, aussi avons-nous, en un premier temps, concentré notre attention sur le premier chapitre, quitte à revenir ultérieurement sur les autres chapitres.

La démarche du livre est de démontrer que Maurice Papon est la cause du transport en France de la violence coloniale (Chapitre Colonial Origines of Police Violence). Il en arrive à tout interpréter dans ce sens. Il en est ainsi, des documents qui sont dans les archives personnelles de René Mayer, (CARAN 362AP32 dossier 4, 32 est le numéro du carton). Certains sont des lettres que Maurice Papon a écrites à René Mayer ou des études de Maurice Papon faites à la demande de ce dernier, ou bien encore des études de Maurice Papon transmises par d'autres hommes politiques sympathisants. Ainsi l'étude Perspectives géopolitiques sur le Destin de l'Europe, la note sur Le problème tunisien : réflexions sur la méthode et celle sur l'organisation de l'Algérie, sont présentées comme des preuves du mépris qu'il aurait eu des Tunisiens, des Arabes ou du tiers monde (expression de l'époque) en général.
A la découverte de ces documents, je les ai interprétés de façon inverse, mais, ne me sentant pas en droit d'en tirer des conclusions qui seraient contestables, je les simplement retranscrits intégralement sur ce site, dans la partie "Préfet en Algérie", les deux derniers, après avoir demandé l'autorisation à Maurice Papon.

 Maurice Papon fut un Européen convaincu

  Page 50. H & M citent la note de Maurice Papon  "Perspectives géopolitiques". Ils expliquent qu'elle contient l'affirmation que le Darwinism social, qui fut prééminent dans le racisme européen du premier tiers du vingtième siècle : "si les européens ne forment pas un front uni en l'Afrique, clame Papon, leur disparition est gravée dans l'évolution du monde".

Le sous titre de cette note est : Destin de l'Europe. En 1952, Maurice Papon pense que trois conceptions essentielles peuvent commander le destin de l'Europe :

─ l'une à dominante géographique, l'Eurasie,

─ l'autre à dominante économique, l'Eurafrique,

─ la troisième à dominante politique, le bloc  Asie ─ Afrique.

   Et il lui semble que c'est la troisième qui est la plus vraisemblable. Il ne pense pas du tout qu'il y ait une supériorité européenne, mais que le ressentiment des anciens pays colonisés sera un ciment antioccidental qui mènera à la constitution d'un bloc Asie Afrique. Il conclut en parlant des nations européennes :

 " Divisées, leur disparition est inscrite dans l'évolution du monde. Unies, leur puissance comptera encore sans doute assez pour sauvegarder la liberté d'un choix, par conséquent, la liberté d'action pour construire un destin. Sans compter que cette intégration des nations européennes au sein de l'unité européenne, serait de bon exemple et servirait l'autorité de l'Europe, hors du continent qu'elle occupe, pour aider les autres à surmonter les maladies infantiles du nationalisme, autrement que par les procédés expérimentés avec succès en U.R.S.S.

Ce destin, en l'an de grâce 1952, c'est celui de nos propres enfants, et non point celui plus ou moins vague de nos arrières petits neveux. Et il s'agit, aussi bien, des enfants de M. SMITH, ou de ceux de M. Müller ou de M. Dupont."

   Il apparaît que Maurice Papon fut un européen convaincu à une époque ou les Français rejetaient la Communauté Européenne de Défense (CED), et l'on comprend qu'il aurait préféré travailler pour la construction de l'Europe plutôt qu'en Algérie. Il a compris bien en avance que, comme le disait le général de Gaulle, le temps de la marine à voile était passé.

 Le problème tunisien

   Page 50 et 51. H & M prétendent que la note de Maurice Papon sur le "Problème tunisien" démontre son attrait pour la guerre psychologique. Ils expliquent que : "Papon fut influencé par le travail de James Burnham, un des plus extrémistes des théoriciens de droite de la guerre froide, qui dans les années 50 établit que la guerre du Tiers monde avait déjà commencé, et qui se faisait l'avocat d'une guerre nucléaire préventive contre l'URSS."

Rien que cela !!  Maurice Papon ne lisait pas l'anglais. Je laisse le lecteur juger de ce que je considère comme du délire. Le lecteur peut lire cette note et se faire sa propre idée.

 Maurice Papon au Maroc

   L'étape de Maurice Papon comme Secrétaire général du Protectorat du Maroc donne lieu a des développements totalement contraires à la réalité. Le livre soutient que Maurice Papon a été nommé à ce poste par Martinaud-Deplat en accord avec René Mayer et le Général Juin pour servir de relais au Maroc aux activistes colonialistes. Dans la réalité, Maurice Papon a été nommé après l'arrivée au pouvoir de Pierre Mendès-France.

>Le décret de nomination porte naturellement la signature du ministre de l'Intérieur, chef du corps préfectoral, François Mitterrand, parce que Maurice Papon est mis à la disposition d'un autre ministère, celle du ministre des Affaires marocaines et tunisiennes, Christian Fouchet, et celle du Président du Conseil, Pierre Mendès-France.

Question : ces trois hommes politiques étaient-ils des colonialistes enragés ?

 Ce gouvernement, accaparé par les négociations de Genève de la fin de la guerre d'Indochine, et par les affaires Tunisiennes, négligea complètement les affaires marocaines et Francis Lacoste, Résident général au Protectorat du Maroc, ne reçut aucune instruction.

. Pierre July, ministre des Affaires marocaines et tunisiennes du gouvernement d'Edgar Faure, explique dans son livre "Une République pour un Roi" que Francis Lacoste, qui avait été nommé par le gouvernement Laniel avec la mission de revenir sur la politique colonialiste des "Résidents"précédents, les généraux Juin puis Guillaume, avait évolué vers des idées colonialistes et s'était opposé au retour de Mohamed Ben Youssef ( Mohamed V). Pierre July fait le parallèle avec l'évolution de Robert Lacoste en Algérie. Le gouvernement Edgar Faure décida de remplacer Francis Lacoste par Gilbert Grandval qui était libéré de sa fonction de gouverneur de la Sarre après le référendum qui avait décidé du retour de la Sarre à l'Allemagne. Pierre July explique qu'il eut une mauvaise surprise quand Gilbert Grandval exigea d'aller au Maroc avec une équipe de collaborateurs qu'il nommerait lui-même. Grandval ne connaissait pas Maurice Papon et n'avait aucune prévention contre lui, mais il avait l'habitude de travailler avec Robert. Dans son livre Mission au Maroc, Gilbert Grandval admet qu'il s'est grossièrement trompé pour le poste de Directeur de l'Intérieur, équivalent du ministre de l'Intérieur en France. Comme il ne connaissait personne apte à prendre le poste, il demanda conseil à l'entourage du général Koenig, qu'il avait bien connu à la Libération et qui était ministre de la Guerre. Grandval avait commandé les F.F.I. de la région EST sous les ordres de Koenig. Grandval ne savait pas que Koenig et son entourage partageaient les idées du général Juin. Grandval nomma le général Leblanc qui avait donc des idées totalement opposées aux siennes, et il ne s'en rendit compte que sur place, après les premières initiatives du général Leblanc. La mission de Grandval fut un échec dont il ne portait pas toutes les responsabilités, car le gouvernement avait peur des réformes ─ Pierre July écrit que ces réformes auraient entraîné la chute du gouvernement ─ et la non résolution du problème du retour de Mohamed V de Madagascar déclencha des émeutes très meurtrières vers le 20 août, deuxième anniversaire de l'exil de Mohamed V. 

  Une lettre de Maurice Papon à René Mayer, citée dans le livre de H & M (page 48 note 62), prouve que ce dernier le soutenait toujours, et en particulier qu'Edgar Faure a reçu Maurice Papon à son retour du Maroc, sur la demande de René Mayer, de façon très aimable pour discuter de sa nouvelle affectation. Maurice Papon souhaitait être nommé à Strasbourg, mais pas désespérément comme le dit le livre de H & M, parce qu'il souhaitait travailler pour la communauté européenne ─ à cette époque, il ne s'agissait que de la CECA, Communauté européenne du charbon et de l'acier, dont René Mayer avait été président ─ où il voyait plus d'avenir pour la France qu'en Afrique du Nord.  

  Pierre July expose que la police française au Maroc était si gangrenée par des idées réactionnaires qui la poussaient à pratiquer un contre terrorisme meurtrier, qu'Edgar Faure envoya d'abord Roger Wibot, directeur de la DST (Direction de la sûreté du territoire)  pour évaluer la situation, et ensuite toute une équipe de policiers qui remplacèrent ceux qui étaient très compromis dans les attentats. Pierre July  ne marqua aucune prévention à l'encontre Maurice Papon. Quand le général Boyer de la Tour fut nommé successeur de Gilbert Grandval, le ministère des Affaires marocaines et tunisiennes fut supprimé (la Tunisie était devenue indépendante) et le Protectorat du Maroc fut placé sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères. Pierre July devint sous secrétaire à la présidence du Conseil.

Question : Edgar Faure et Pierre July étaient-ils des colonialistes enragés ?

 H & M vont jusqu'à accuser Maurice Papon d'avoir soutenu ceux qui commirent des assassinats politiques, sur des Marocains mais aussi celui de Lemaigre-Dubreulou les attentats à la vie de Pierre Clostermann à Casablanca. En fait ce dernier était un ami de Maurice Papon.

   Maurice Papon fut nommé Conseiller technique au cabinet du S.E. aux affaires algériennes (M. Champeix), le 13 février 1956 à compter du 2.

 IGAME de l'Est algérien.  

   Le livre de H & M expose que Maurice Papon fur nommé IGAME de l'Est sur les exigences des colonialistes, mais toujours au CARAN, dans le carton cité par H & M, il y a une lettre du Préfet Dupuch à René Mayer, dans laquelle il expose que le plus apte à lui succéder, car il connaît bien le problème et qu'il a un bon contact avec les Algériens, serait Maurice Papon.

   Cette correspondance finit par une lettre de Maurice Papon à René Mayer dans laquelle il regrette qu'on ne lui propose rien d'autre que le poste de Constantine, et il clôt le sujet  en écrivant : "Puisque personne ne veut aller en Algérie, je retournerai à Constantine. Inch Allah".. Cela montre bien qu'il n'était pas heureux de cette nomination. La lecture de cette correspondance laisse l'impression que, dans cette affaire, Maurice Papon s'est fait un peu avoir.

H & M atteints d'une dyslexie accentuée

 Dans un chapitre dédié aux assassinats d'Algériens par les services secrets français, ils affirment en page 177 de la version originale, et en page 222 de la traduction en français parue chez Tallandier :

"Il semble que des agents du SA (service action du SDEC) aient fourni des pains de plastic, pris dans leur base de Cercottes, qui furent utilisés contre des café-hôtels algériens, dont un à Pont-sur-Seine, où périrent 11 hommes86."

 La note 86 renvoie aux pages 248 et 249 du livre de Raimond Muelle sur la guerre d'Algérie : Sept ans de guerre en France.

Or, Raimond Muelle, en bas de la page 248 et la suite, rapporte les états d'âme d'un policier du nom de Esteva qui pense à l'attentat contre le général de Gaulle à Pont-sur-Seine, et à une attaque d'un bistrot situé à Aubervilliers où 11 membres du MNA furent massacrés par le FLN. Le raccourci de H & M est donc saisissant. De deux attentats : l'un, perpétré par une équipe de bras cassés contre le général de Gaulle, complètement manqué, et l'autre perpétré par une équipe du FLN particulièrement efficace où 11 membres du MNA furent tués, ils en ont fait un seul où le SA aurait assassiné 11 membres du FLN.

Une dyslexie aussi accentuée est le syndrome d'une partialité aiguë.

La traduction de Christophe Jaquet est de bonne qualité, et il est attristant de constater qu'il a usé son savoir faire à traduire une ânerie.