Le 4 octobre 1955. NOTE SUR LE PROBLEME ALGERIEN Les évènements qui se déroulent en Algérie depuis un an comme, sur le plan international, la décision prise par l'O.N.U., ne laissent d'espoir de conserver ses trois départements d'Afrique du Nord comme partie intégrante de la Métropole, que dans une politique d'intégration à outrance. C'est aussi la dernière chance de cette politique dont la réussite demeure subordonnée à un jeu total, sincère et honnête : la seule preuve qui peut être administrée, tant à l'égard des Algériens eux-mêmes qu'à l'égard des instances internationales, est d'inscrire sans délai cette intégration dans la réalité des faits. Entre les conséquences graves d'une intégration totale et les conséquences plus graves encore d'une sécession, il faut choisir. Donner et retenir ne vaut. Mais il n'est nullement paradoxal de donner le maximum sans réticence, pour retenir l'essentiel des garanties à ménager. Or, dans un système total d'intégration, l'essentiel est la protection de la minorité française et des intérêts français dans leur expression politique, c'est à dire leur représentation. S'où la nécessité de maintenir le deuxième Collège. En conséquence il importe de pousser à fond l'intégration sur tous les autres plans sans exception, pour donner un caractère à la fois spectaculaire pour l'extérieur et valable pour l'Algérie. Ce point d'amarre étant maintenu, il faut faire disparaître tous les vestiges du colonialisme et tous facteurs de sécession. Cela veut dire la double suppression du Gouvernement Général et de ses bureaux d'une part, et de l'Assemblée Algérienne d'autre part. Le Gouvernement Général constitue l'instrument technique le plus puissant de l'unification algérienne, donc le facteur le plus efficace de l'unité algérienne et, partant, du séparatisme d'avec la Métropole. L'Assemblée Algérienne, par le caractère équivoque et presque transitoire qui lui est conféré par le Statut de 1947, est devenue et deviendrait davantage dans l'avenir, l'instrument politique de la sécession avec le concours d'éléments français. Cette double mesure aurait un caractère assez décisif et spectaculaire, pour créer un choc psychologique et pour affirmer sans ambiguïté la politique de la France. On ne peut toutefois détruire sans immédiatement construire : aussi conviendrait-il de mettre en place, dans le même temps, trois Inspecteurs Généraux de l'Administration en Mission Extraordinaire à Alger, Constantine et Oran, articulés, à l'instar de leurs collègues de la Métropole, directement sur Paris. Pour pallier à la sous administration, il conviendrait également de prévoir l'encadrement politique et administratif sollicité par les circonstances de l'évolution du pays, en décidant la création de trois départements pour la circonscription d'Alger (Grande Kabylie, Orléansville et Alger), deux ou peut être trois départements dans le Constantinois (Bône déjà créé, Constantine et le cas échéant, Sétif-Bougie), et trois départements dans l'Oranais (Tlemcen, Oran, Mostaganem).
oOo Cette réforme aurait le mérite, non point de procéder d'une vue de l'esprit, mais de respecter étroitement les données géographiques et économiques de l'Algérie. L'équilibre économique s'est en effet aménagé selon les données de la géographie et s'est réalisé sur l'axe Nord-Sud : échange de dattes et du sel des zones sahariennes contre de l'orge des hauts plateaux et, aujourd'hui, des agrumes de la région côtière. A l'inverse, les communications Ouest-Est ont été artificiellement créées par les Européens. Non seulement le Maroc, par exemple, est presque toujours resté isolé du reste de l'Afrique du Nord, mais, dans le cadre même de l'Algérie et actuellement encore, le Constantinois et l'Oranais sont très loin l'un de l'autre par la distance, la psychologie, les intérêts. Les secteurs unifiés ressortissent de l'administration et de la politique sous l'action des éléments français. Faut-il enfin citer l'exemple des Antilles, dont la "départementalisation" a fait reculer les prétentions d'indépendance dans le cadre caraïbe qui s'étaient développées pendant et après la guerre, à la faveur d'ailleurs de l'action américaine. En pratique, cette réforme de structure, dont il ne faut pas mésestimer les conséquences politiques, ainsi qu'en témoigne le précédent antillais, doit être mise en place immédiatement, ce qui dispensera de toute manifestation d'intention, dont la sincérité pourrait être mise en doute, même assortie d'un calendrier dont l'emploi, en Islam, doit être catégoriquement décommandé. Nommer des IGAMES à Alger, Constantine,et Oran, nommer des Préfets à Tlemcen, Mostaganem, Bône, Orléansville, consacrer les fonctions des Préfets déjà nommés à Tizi-Ouzou et à Sétif, augmenter le nombre des arrondissements et l'effectif des Conseillers Généraux, élargir la représentation parlementaire dans les conditions qui seront précisées, constitueraient un ensemble de mesures complémentaires et logiques de la suppression du Gouvernement Général et des bureaux du Gouvernement Général, ainsi que de l'Assemblée Algérienne. Une coordination provisoire des affaires pourrait être confiée à un IGAME délégué du Gouvernement, qui serait un fonctionnaire d'exécution à large délégation, et non un homme politique dont la présence accuserait le particularisme du problème et donnerait à contre sens un éclairage politique à cette réforme d'ensemble, à laquelle il convient de laisser autant que possible un caractère administratif, puisque l'Algérie est partie intégrante de la France. Cela ne veut pas dire que le Délégué du Gouvernement manquerait d'initiative, car, par le jeu d'une large délégation, une nécessaire décentralisation administrative du pouvoir central serait ainsi assurée, par opposition à la décentralisation politique symbolisée par la double présence d'un Gouvernement Général et d'une Assemblée Algérienne. Sans que les IGAMES de Constantine et d'Oran cessent d'être directement articulés sur Paris, l'IGAME d'Alger pourrait être délégué à cette mission de coordonner en fait l'action dans les trois régions, du point de vue politique, économique et financier (plan d'investissement) et, tant que les circonstances l'exigeront, sur le plan militaire. Il assurerait en droit le passage du régime gubernatorial1 au régime préfectoral, en procédant à la liquidation du Gouvernement Général dont les bureaux éclateraient partie sur Paris, partie sur les Préfectures. Quant à la représentation parlementaire, dont le problème se posera inévitablement, en droit, en fonction de l'intégration et, en fait, par suite de la suppression des délégués, elle doit se tenir entre deux limites : s'il est normal et inévitable que le nombre des députés des deux Collèges soit augmenté, il n'apparaît pas nécessaire d'assurer un effectif proportionnel à la population. Le précédent existe dans la Métropole même, où Paris et, d'une manière générale, les villes, ont une représentation proportionnellement moins importante que les circonscriptions rurales, et cela, pour des motifs d'équilibre politique qui sont valables, mutatis mutandis, pour l'Algérie et pour la représentation respective des deux Collèges. Il va sans dire enfin qu'il serait spécieux de condamner "l'intégration" sous prétexte que "l'assimilation" a échoué. S'il est vrai que, pendant trop longtemps, la France a proclamé l'assimilation sans la faire, peut-être conviendrait-il aujourd'hui de la faire sans la dire. Mais, sans tomber dans le jeu des subtilités intellectuelles, l'intégration se distingue assez clairement de l'assimilation : la première concerne la structure politique et administrative, la seconde l'alignements des croyances, des mœurs, des comportements, etc…, à la limite des ethnies, ce qui en dénonce l'absurdité. Les Russes, qui ne sont pas intoxiqués de "rationalisme", ont compris cette distinction depuis longtemps. |