Mahdi Belhaddad, premier sous-préfet algérien.
C'est Maurice Papon, préfet de Constantine sous Lacoste, qui, ayant
remarqué ce fonctionnaire, l'avait imposé à son cabinet au
grand dam des militaires.
Pourtant, Mahdi Belhaddad avait un passé éloquent : quarante ans, mutilé
de guerre, amputé d'un bras « au service de la patrie », officier de la Légion
d'honneur, médaille militaire, caïd des services civils. Jusque-là ça allait. Sa
nomination comme sous-préfet hors cadre en mars 1957 et surtout le rôle qu'il
était appelé à jouer comme chargé de mission au cabinet de Maurice Papon avaient
déchaîné les jalousies. Les militaires battaient froid à ce fonctionnaire qui
avait alerté son patron sur le scandale de la cité Ameziane, camp ultra-secret,
où le commandant R.... officier de la plus basse espèce, qui sera traduit devant
les tribunaux après les Barricades, torturait les prisonniers et les «suspects »
raflés dans la région. Belhaddad, Kabyle bien que né dans l'arrondissement de
Batna dans l'Aurès, était outré de voir combien les pouvoirs dévolus aux civils
étaient faibles par rapport à ceux des militaires. La situation était telle,
depuis que Lacoste avait remis à Alger les pouvoirs de police aux militaires,
que des hommes comme Papon ou Belhaddad n'osaient se rendre au centre de torture
de la cité Améziane. S'ils y allaient et que, le lendemain, les tortures
continuaient - ce qui était certain - ils les « couvraient » de leur présence !
Au cabinet de Maurice Papon, Belhaddad était chargé de maintenir le contact avec
la population musulmane et aussi avec ceux qui eux-mêmes étaient en relation
avec le Front. Le préfet attachait beaucoup d'importance à cette mission en une
période où la population de l'Est algérien, déracinée par la politique des
regroupements, était ballottée. Belhaddad expliquait que naturellement la
population était contre ces regroupements mais Papon, devant jeter du lest aux
militaires, était parvenu à « couper la poire en deux » et à regrouper les
habitants non loin de leurs champs.
Imposé par Papon, Belhaddad assistait à toutes les réunions secrètes
civilo-militaires. Le préfet ne manquait jamais de lui demander son avis avant
de conclure. Les militaires, eux, limitaient leur contact avec le sous‑préfet
musulman à « bonjour - bonsoir, monsieur le sous-préfet », tout en ne manquant
pas d'exploiter ce que, Belhaddad appelait une malhonnêteté : « Vous voyez bien
que nous avons les musulmans avec nous... vous voyez bien que nous sommes
libéraux... la preuve - M. Belhaddad est né à Chiz, il est musulman. Et
sous-préfet ! » Il était devenu l'Introuvable.
Puis Papon, quittant Constantine, fut remplacé par le préfet Chapel1.
Celui-ci, au 13 mai, ne voulant pas se dessaisir des pouvoirs que la République
lui avait confiés, fut « expulsé » dans le même avion que Paul Teitgen.
Belhaddad, sous-préfet, ayant adopté la même attitude, subit le même sort sur
l'ordre du général Gilles qui, - le 13 Mai ayant enfin « réussi » - détenait les
pouvoirs civils et militaires.
Et puis ce fut le grand élan de la fraternisation et Gilles
"rattrapa" de justesse Belhaddad à l'aérodrome de Télergma. Il fallait un
Algérien de service ! …..»
« Mon général, voici M. Belhaddad, sous‑préfet hors cadre. »
Et il ajouta en aparté : « Sous-préfet musulman...
- Content de vous voir, monsieur le sous-préfet ».
On se serra la main et au suivant. On l'avait montré et l'on pouvait le
remettre dans sa boite. Ce que Gilles et les militaires de l'Est algérien
ignoraient, c'est que le colonel de Boissieu, gendre du général de Gaulle, qui
commandait à Châteaudun-du-Rhumel, avait été alerté par Papon, devenu préfet de
police à Paris, sur la situation du sous-préfet Belhaddad. Et Boissieu avait
glissé au sous-préfet :
« Ne vous inquiétez plus, le général est au courant. Il va s'occuper de vous. »
La nomination de Mahdi Belhaddad, fonctionnaire musulman, à la tête de la
sous-préfecture d'Aïn-Beïda éclata comme une bombe et provoqua une levée de
boucliers significative de la façon dont on entendait mener l'intégration en
Algérie. »