Un internaute, monsieur F. P., nous a transmis ses commentaires que nous
présentons ici avec son accord sans aucune modification, si ce n'est le lien
vers la page d'analyse du verdict
:
Commentaires sur le documentaire
« Maurice Papon, itinéraire d’un homme d’ordre »
Ce documentaire, diffusé par une chaîne de service public (France 2),
se veut une réflexion à caractère historico-philosophique sur les méfaits du
« devoir d’obéissance » des fonctionnaires, notamment de ceux de rang élevé, au
travers du cas prétendument emblématique de Maurice Papon.
Son texte a été co-rédigé par
Marc-Olivier Baruch, donc par un historien, ce qui aurait dû en principe
garantir la rigueur dans la présentation des faits sur lesquels prend appui
cette réflexion. Les auteurs ont d’ailleurs manifesté un souci apparent
d’impartialité en citant des propos de personnes hostiles et favorables à
Maurice Papon ainsi que du principal
intéressé.
C’est précisément par une citation de ce dernier que débute le
documentaire. Il y exprime sa conviction que chaque fonctionnaire a le devoir
d’obéir mais en spécifiant que ce devoir ne s’impose de manière indiscutable
qu’ « en temps de paix et dans un
Etat organisé, dans un Etat qui se respecte. » Le relief donné à cette
citation, répétée à la fin du documentaire, montre clairement que MM. Emmanuel
Hamon et Marc-Olivier Baruch y voient l’alpha et l’oméga de la conception que
Maurice Papon se faisait de son rôle de fonctionnaire.
Or, les étapes de sa carrière mises en cause le plus durement (l’exercice
de ses fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Gironde entre 1942
et 1944 puis de ses fonctions préfectorales pendant la guerre d’Algérie) se sont
déroulées dans un contexte qui n’avait rien de pacifique.
D’autre part, et surtout, il n’existe aucune preuve que M. Papon ait
considéré l’Etat-croupion dirigé par Pétain comme un Etat organisé, un Etat qui
se respectait. Si cela avait été le cas, il aurait
d’ailleurs été un oiseau rare…
Mais peu importe aux auteurs du documentaire : prisonniers de leur parti
pris concernant M. Papon, ils ne sont même pas donné la peine d’analyser
sérieusement la portée de l’un de ses
propos dont ils jugent pourtant le contenu essentiel à la compréhension de son
itinéraire.
Aussi significative soit-elle, cette incohérence n’est cependant pas, et
de loin, le trait le plus critiquable de leur œuvre. Celle-ci témoigne avant
tout d’une malhonnêteté intellectuelle comparable à celle qui caractérise les
instigateurs des campagnes menées de manière quasi incessante depuis trente ans
contre M. Papon. La
tonalité du commentaire est volontairement sereine, presque distanciée.
Mais elle recouvre une charge violente où se mêlent lacunes, contre-vérités et
calomnies pour convaincre le téléspectateur que l’on est en présence d’un pur
carriériste capable des pires retournements de veste et, s’il le faut,
d’agissements le rendant complices des crimes les plus graves.
Une lacune importante concerne ainsi la période d’avant-guerre. Il n’est
pas indiqué que Maurice Papon a pris publiquement position contre les accords de
Munich dès leur signature. Mais cette précision aurait été en contradiction avec
la thèse de MM. Hamon et Baruch selon laquelle leur « héros » a toujours été
incapable de manifester une quelconque opposition au pouvoir en place. Et l’on
sait, d’autre part, que de nombreux opposants à ces accords se sont ensuite
engagés dans la Résistance.
Toutefois, c’est bien entendu à propos de la
période de Vichy que le documentaire se caractérise par une multiplication
incroyable de falsifications. Celles-ci sont si nombreuses que je recenserai ici
les plus importantes à mes yeux.
Il est par exemple affirmé que Maurice Papon « cesse d’être
radical-socialiste, cesse d’être républicain » parce qu’il reprend après la
défaite de 1940 ses activités de fonctionnaire au ministère de l’intérieur.
Cette accusation, d’une exceptionnelle gravité et qui ne repose sur aucune
preuve, s’inscrit dans le cadre d’une vision fausse et simplificatrice de la
situation des fonctionnaires et des agents des services publics sous un régime
rompant avec les valeurs de la République. Que ce soit pendant la guerre ou à la
Libération, il n’est venu à l’esprit de personne d’accuser un fonctionnaire
d’avoir trahi ses convictions républicaines pour le seul motif qu’il était resté
dans la fonction publique ou y était entré après la naissance du régime de
Vichy. En février 1942, par l’intermédiaire d’un de ses collaborateurs de
Londres, le lieutenant-colonel Tissier, le général de Gaulle a même enjoint aux
fonctionnaires restés en
France et anti-vichystes de conserver leur poste dans toute la mesure du
possible mais en s’efforçant de saboter l’exécution des ordres contraires à
l’intérêt national. De Gaulle considérait notamment que la présence de
fonctionnaires bien disposés à l’égard de la Résistance serait un atout précieux
pour surmonter les difficultés auxquelles le pays serait confronté lors de la
libération du territoire.
Pour tenter d’étayer leur accusation, MM. Hamon et Baruch diffusent des
images rappelant que les membres du corps préfectoral étaient au nombre des
fonctionnaires tenus de prêter
serment à Pétain. Rappel particulièrement malvenu s’agissant de M. Papon puisque
celui-ci a toujours affirmé, sans être démenti, qu’il avait refusé de prêter ce
serment.
Sans même qu’il soit besoin d’aborder ici la question de la résistance de
M. Papon, que l’on examinera plus loin, on relèvera enfin qu’il a fait l’objet à
plusieurs reprises de dénonciations de la police secrète créée par le régime de
Vichy pour surveiller les fonctionnaires, dénonciations selon lesquelles il
était notamment un homme de « l’ancien régime », c’est -à dire de la IIIème
République.
La première accusation de « retournement de veste » portée contre M.
Papon est donc dépourvue de tout fondement.
Une autre présentation des faits fallacieuse concerne les conditions dans
lesquelles M. Papon a été nommé secrétaire général de la préfecture de la
Gironde en 1942. Il est en effet indiqué
que cette nomination fut liée à celle de Maurice Sabatier (ce qui est
exact) mais aussi que la nomination de ce dernier s’inscrit dans le cadre du
renforcement de la collaboration avec l’Allemagne voulue par Laval récemment
revenu au pouvoir.
Le téléspectateur non prévenu peut légitimement en déduire que M. Papon
est arrivé à la préfecture de Bordeaux dans le sillage d’un préfet très
« collaborationniste ». Or, c’est le contraire qui est vrai. Sabatier, qui avait
exercé de hautes responsabilités à la fin de la IIIème République, ne partageait
en aucune manière les options ultra-vichystes de son prédécesseur Pierre-Alype.
Ce dernier sera d’ailleurs condamné à mort par contumace à la Libération alors
que Sabatier retrouvera rapidement un poste important après 1945. Les
ultra-vichystes demeurés en poste à la préfecture de la Gironde après l’éviction
de son prédécesseur ne cesseront d’ailleurs de dénoncer son manque de conviction
et celle de son équipe pour mettre en œuvre la Révolution nationale.
Il est à noter que la «disgrâce» de Pierre-Alype s’explique en partie par
ses mauvaises relations avec l’influent maire de Bordeaux, Adrien Marquet, qui,
tout en étant vichyste et proche de Laval, était soucieux d’avoir des rapports
aussi sereins que possible avec le Grand Rabbin de Bordeaux Joseph Cohen. Or,
celui-ci avait toutes les raisons de se méfier d’une équipe préfectorale dominée
par l’idéologie antisémite qui avait conduit à l’élaboration du statut des juifs
d’octobre 1940. L’arrivée de la nouvelle équipe allait permettre une sensible
amélioration des relations de la préfecture avec la communauté juive de Bordeaux
en dépit du terrible contexte des rafles effectuées à partir du printemps 1942
dans le cadre de la « solution finale » secrètement décidée par le régime nazi à
l’encontre des juifs de toute l’Europe occupée.
Le rôle exercé par M. Papon dans ses fonctions de secrétaire général est
limité de manière quasi exclusive par le documentaire à ses responsabilités
prétendument écrasantes dans l’organisation de ces rafles alors que les débats
du procès de Bordeaux ont mis en évidence leur insignifiance et, dans certains
cas, leur inexistence totale.
Par ailleurs, la scélératesse des lois anti-juives du régime de Vichy est
évoquée à juste titre mais sans que soient mentionnées, par exemple, les
nombreuses radiations du fichier des juifs auxquelles a procédé Maurice Papon
avec une audace suscitant la colère du
commissariat général aux questions juives. Un intervenant éprouve même le besoin
de souligner que M. Papon aurait fait une application rigoureuse de cette
législation.
Une appréciation contraire eût été conforme à la vérité mais en
contradiction avec l’obsession des auteurs du documentaire : démontrer l’amour
immodéré de M. Papon pour l’obéissance au pouvoir en place quelles qu’en soient
les conséquences. La contradiction eût
été plus manifeste encore si la vérité avait été dite sur ses actions de
résistance proprement dites Il n’en était
naturellement pas question et l’on nous a « resservi » le refrain bien connu du
résistant de la dernière heure suffisamment habile pour rendre « in extremis »
quelques services à Gaston Cusin, désigné par de Gaulle comme futur commissaire
de la République de la région bordelaise. Les témoignages convergents de
nombreux grands résistants de la région bordelaise au cours du procès ont
pourtant permis de mesurer à quel point M. Papon avait été calomnié sur ce point
en particulier dans l’acte d’accusation.
Au demeurant, et à l’instar des
autres accusateurs de Maurice Papon, MM. Hamon et Baruch font une présentation
lacunaire et fallacieuse du déroulement du procès de Bordeaux et de son verdict.
S’il est vrai que l’accusé a été condamné
pour complicité de crimes contre l’humanité, il n’est pas rappelé que cette
condamnation est intervenue au terme de débats qui ont révélé les graves
inexactitudes de l’acte d’accusation sur des points essentiels. Il n’est pas
davantage précisé que le verdict a retenu la
complicité de M. Papon pour l’arrestation et la détention arbitraire de 91
personnes (au lieu des 1 690 mentionnées à plusieurs reprises dans le
documentaire) ni, surtout, que la complicité d’assassinat
a été écartée.