Recopie de la lettre du Révérend Père Riquet au Rédacteur en
chef du "Droit de Vivre" (10 février 1983)
Mon cher Ami
De tout cœur, je vous félicite de votre dossier sur le dialogue judéo-chrétien au quel vous avez bien voulu m'associer. Il est excellent. Mais vous ne m'en voudrez pas de vous dire mon regret de ce que j'ai lu dans le même numéro du Droit de Vivre à propos de l'affaire Papon. La manière dont est manipulé le texte du jury d'honneur dont j'ai fait parti, tend à faire croire que nous sommes d'accord avec ceux qui poursuivent Maurice Papon comme personnellement responsable de crimes contre l'humanité.
Dans les "attendus" de notre sentence, nous avons en effet, souligné que "tous les témoins ou "sachants" interpellés sur ce point ont, à l'exception de Serge Klarsfeld, estimé que d'éventuelles poursuites contre les dirigeants responsables de la Préfecture régionale de Bordeaux, de mai 1942 à la Libération, pour crime contre l'humanité, seraient parfaitement injustifiées". C'est pourquoi nous avons estimé que "M Papon, dont la responsabilité, bien qu"elle ne paraisse pas la plus engagée, doit tout de même être retenue, a dû concourir à des actes apparemment contraires à la conception que le jury se fait de l'honneur et qui, à juste titre, choque la sensibilité française ; mais qu'il convient toutefois de situer dans le contexte de l'époque, d'autant plus que plusieurs d'entre eux, n'ont pas eu la porté ou les effets que leur révélation peut laisser croire aujourd'hui".
Il est difficile, après quarante ans, de bien se rendre compte de ce qu'à pu être la situation des préfets et de leurs collaborateurs au temps du Gouvernement de Vichy, dans une France occupée par l'Allemagne nazie. Tel fut le cas de Maurice Papon. Le jury d'honneur a donné acte "à M. Maurice Papon de ce qu'il fut bien affilié aux forces françaises combattantes à compter du 1er janvier 1943" ; ce qui corrobore le fait confirmé par de nombreux témoignages, qu'avant cette date il avait déjà pris contact avec la résistance, notamment le Réseau Jade-Amicole. Ce sont ces résistants même qui, début décembre 1942, l'ont dissuadé de donner sa démission à laquelle il songeait, précisément pour ne pas avoir à collaborer, même très indirectement, à la politique de Vichy. Son départ aurait en effet privé la Résistance de l'appui qu'il lui apportait et mis fin aux efforts plus d'une fois efficaces qu'il multipliait pour sauver le plus grand nombre possible de juifs ou, faute de mieux, adoucir les conditions de leur incarcération ou de leur transfert à Drancy.
On peut avoir une idée différente au sujet de la démission que M. Maurice Papon aurait dû donner, mais il est certainement contraire à toute objectivité comme à toute équité de le poursuivre pour des crimes contre l'humanité qu'il n'a jamais commis.
Je vous serais
reconnaissant de le faire savoir à vos lecteurs.
Veuillez
croire, mon cher Ami, à mes sentiments les plus cordialement dévoués.
Signature
P. Michel Riquet sj.