Jacques Villette :

Pour la réhabilitation de Maurice Papon

Maurice Papon et la Justice

(Comment Maurice Papon perdit confiance dans la Justice de son pays.)

    Les défenseurs de Maurice Papon sont divisés entre ceux qui lui ont conseillé de fuir son pays et ceux qui pensent que ce fut une grave erreur. Mais c’est lui-même qui a décidé cette fuite parce qu’il avait perdu confiance dans la Justice de son pays. Elevé dans le respect de la loi, et ayant passé sa vie au service de l’Etat, il a pris, pendant les 16 ans d’instruction, un grand soin d’aider la justice à découvrir la vérité sur les événements de 1942-44. Au début du procès, il a encore confiance, malgré tous les avatars des instructions successives, marquées par la volonté de ses accusateurs de retarder le procès pour qu’il perde ses témoins, volonté à laquelle la classe politique ne s’est pas opposée par lâcheté. L’analyse de son attitude montre qu’elle a évolué au fur et à mesure que le Président de la cour, déstabilisé par les attaques des Klarsfeld, a marqué un parti pris évident. Nous citons des exemples qui ont marqué cette évolution.

    Il pratique d’abord l’ironie et déclare, le 5 février, au procureur général, au sujet d’un document dicté par le Préfet Sabatier : " Je vais vous faire une confidence, Monsieur le procureur général, ne la répétez à personne ! Ce papier a été fait pour servir au procès de crime contre l’humanité ! "

    Le 10 février, il a pris conscience que le procès n’a pas pour objet de faire apparaître la vérité et il reprend toutes les fausses imputations de l’arrêt de renvoi. Il conclut :  " S’il y a une raison d’Etat, il ne reste plus qu’à réveiller les mânes de Voltaire et de Zola. "

    Le 26 février, exaspéré par l’avocat général qui insiste pour lui faire dire pourquoi sa hiérarchie lui a proposé des promotions qu’il a d’ailleurs refusées, il répond : " Parce que j’avais les yeux bleus. " Il n’a déjà plus confiance dans la justice et refuse de répondre.

    Maurice Papon tint son rôle jusqu’à la fin du procès malgré l’épreuve de la perte de son épouse. Dans sa déclaration finale, il reprit les thèmes qu’il avait déjà soutenus et déclara :
    " Enfin, dernier épisode que vous devez connaître, Mesdames et Messieurs les jurés, on a décidé, au cours de la procédure, l’éviction, je dis bien l’éviction, de l’avocat général en charge du dossier, soupçonné, à tort ou à raison, de s’orienter vers un non-lieu. C’est ce qui s’appelle un procès politique. "

    Après s’être pourvu en cassation, il refusa de se présenter au procès en cassation, et fut donc débouté par défaut. De Suisse, il fit parvenir au journal Sud-Ouest une lettre que nous présentons sur ce site : à 89 ans, il était entré à nouveau en résistance, car il ne croyait plus en la justice de son pays.

    De sa prison il écrit maintenant en précisant : " Maurice Papon, prisonnier politique ! "

Le 5 février 1998 : Les confidences de Maurice Papon au Procureur général

    La veille, la cour a analysé les documents relatifs à la rafle du 10 janvier 1944, la plus dramatique comme le montre notre document récapitulatif.

    Résumons les faits. Le 10 janvier 1944, l’Intendant de police Duchon reçoit de la police allemande, à 12 h 30, l’ordre donné à la police française de participer à une arrestation massive de citoyens français israélites. Il prévient le Préfet régional. Les responsables de la Préfecture et ceux de la police se réunissent à la Préfecture et, sous la direction du Préfet, entreprennent une série d’actions auprès des instances supérieures pour essayer de faire annuler cet ordre : Le Préfet téléphone à Vichy, à M Lemoine, secrétaire d’Etat à l’Intérieur ; l’intendant de police Duchon, au délégué du ministère de l’Intérieur à Paris ; Maurice Papon au directeur général de la Police nationale. Il s’ensuit de nombreux échanges avec Paris et Vichy. Duchon retourne au siège de la GESTAPO, espérant rencontrer le chef du KDS, mais Machule est absent. Un officier subalterne, M. Mayer, se contente de dire qu’il sera tenu pour responsable des retards, et qu’il tient de sa hiérarchie que Darnand, qui a remplacé Bousquet, a donné son accord pour cette opération. In fine, Darnand téléphone à Duchon pour confirmer l’ordre, en précisant que même s’il refuse de l’exécuter, l’opération aura lieu. Toutes ces manœuvres n’ont permis que de gagner une heure : l’opération débute vers 21 h.

    Pendant que l’opération se déroule, les Français, bouleversés, restent à la Préfecture. Le Préfet dicte alors une note qui récapitule les évènements. Il la fait signer par les présents. Elle porte, outre la signature du Préfet, celles de l’intendant de police Duchon, de Maurice Papon, de J. P. Chapel et du commissaire Frédou.

    Le 5 février 1997, le Président de la cour harcèle Maurice Papon pour lui faire dire pourquoi le Préfet trouvait cette arrestation particulièrement horrible, et a rédigé cette note récapitulative. Il s’ensuit un très long dialogue où le Président demande constamment à Maurice Papon ce que pouvaient penser le Préfet et l'Intendant de police.
    Il faut rappeler que le Préfet régional n’est décédé qu’en 1990, alors que les premières plaintes datent de 1982. Si cette question était si importante, pourquoi ne pas l’avoir posée au Préfet lui-même ?

    Ensuite, la cour étudie les actions entreprises par le service des questions juives de la Préfecture. Ce service fit libérer des Français non juifs arrêtés par erreur. Maurice Papon rédigea une note manuscrite pour attirer l’attention sur des cas limite : Israélites ayant rendu de grands services à la France, mutilés et une femme de prisonnier de guerre. Il espérait les faire libérer.

    L’interrogatoire est repris par le Procureur général, Henri Desclaux qui repose les mêmes questions au sujet de la note du Préfet. Extrait des notes sténographiques :

" LE PROCUREUR GENERAL. C’est " un document pour l’Histoire " avez-vous dit. Alors pourquoi en janvier 1944 se préoccupait-on de l’Histoire à la préfecture de la Gironde, en pleine situation de crise, alors que les préoccupations dramatiques, épouvantables, ne manquent pas ? D’accord, beaucoup d’autres l’ont fait et d’aucuns pour s’auto justifier, mais voilà 5 hauts responsables de la préfecture et de l’intendance de police qui participent, tous à des degrés divers, au traitement des questions juives, qui prennent le soin de cosigner une note, sans en-tête, sans destinataire, pour faire le journal de la journée. Quelle pouvait en être la raison véritable ?

M. PAPON. Il aurait fallu le demander à M. Sabatier ! Je ne peux pas répondre de ses faits et gestes.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL. Vous aviez répondu "pour l’Histoire" !

M PAPON, agacé. Monsieur le président m’a demandé pourquoi je ne m’étais jamais posé cette question et j’ai répondu de bonne foi qu’il y avait plusieurs interprétations et, pourquoi pas ? "pour l’Histoire " La preuve que c’est un document d’histoire, c’est qu’il sert à ce procès soi-disant historique. Tout le monde devrait être satisfait d’avoir un journal des opérations. Je ne pensais vraiment pas qu’il y aurait un mystère particulier qui puisse apporter un argument en faveur du crime contre l’humanité.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL. Vous ne contestez pas que cette note n’a pas été adressée à Vichy ?

M. PAPON. A ma connaissance, elle a été remise à chacun des signataires. On l’a retrouvée paraît-il dans les archives, je m’en félicite.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL. En fait, elle vient au moment où la situation bascule irrémédiablement. L’Allemagne est en train d’être vaincue sur tous les fronts, le débarquement est attendu d’un moment à l’autre (j’essaie de reprendre vos termes très précis), les Allemands eux-mêmes n’y croient plus. L’opinion publique, quant à elle, est anti-allemande et viscéralement antifasciste.

M. PAPON, fort. Encore que le maréchal Pétain ait été acclamé à Paris au mois d’avril et que ce sont les mêmes qui ont acclamé de Gaulle en août. Puisqu’il faut servir une vérité, servons-la, mais avec courage et franchise.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL. L’action antijuive est de plus en plus impopulaire et tout cela, les responsables de la préfecture de la Gironde le savent. Alors, cette note était-elle tout simplement à usage différé, à produire en cas de besoin, si jamais on était rattrapé par l’Histoire, si les nouveaux dirigeants du pays demandaient des comptes ? N’était-elle pas un des éléments de ce dossier que découvrent les historiens mettant en exergue ce qui peut paraître comme des actions de résistance ? En d’autres termes, comme vous l’avez dit, il y a une manière noble de qualifier ce genre de pratique, c’est de parler d’Histoire, et il y a une manière moins noble c’est de vouloir "ouvrir un parapluie ". Nous sommes bien d’accord’ ?

M. PAPON. Je vais vous faire une confidence, Monsieur le procureur général, ne la répétez à personne ! Ce papier a été fait pour servir au procès de crime contre l’humanité ! " 

    Le 10 février : Les mânes de Voltaire et de Zola

    La cour entend des parties civiles dont les plaintes ont été gardées sous le coude par Gérard Boulanger pendant plusieurs années. En fin d’audience, Maurice Papon fait une déclaration où il reprend les accusations de l’arrêt de renvoi et en démontre la fausseté. Le compte rendu sténographique est muet sur cette déclaration qui d’après Eric Conan est particulièrement gênante pour la magistrature. Eric Conan se contente d'en rapporter les dernières phrases :

    " Cela renforce l’impression qu’on a, à chaque lecture de cet arrêt de renvoi, qu’on a cherché uniquement à construire un coupable exigé ici ou là, peut-être pour raison d’Etat. S’il y a raison d’Etat, il ne me reste plus qu’à réveiller les mânes de Voltaire et de Zola. "

    Le 26 février : L’homme aux yeux bleus.

    La cour examine comment l’épuration s’est faite à Bordeaux et à la Préfecture. Il faut noter que les notes sténographiques ne donnent pas une transcription des débats, mais un compte rendu abrégé, alors qu’Eric Conan, dans " Son journal d’audience " donne plus de précisions. En fin d’audience, l’avocat général Marc Robert interroge Maurice Papon sur les propositions de promotions qui lui ont été faites, et qu’il a refusées. Ces propositions furent : en mai 43, d’être adjoint du secrétaire général de la police en zone Sud ; en novembre 1943, d’être préfet du Lot ; et en janvier 1944 d’être Préfet des Landes.

Maurice Papon s’énerve et dit : " N’oubliez pas que je les ai refusées ! Ou alors vous voulez me faire grief qu’on me les a proposées ?

L’avocat général : Oui, justement, pourquoi Vichy vous les a proposées ?

Maurice Papon : "Parce que j’avais les yeux bleus ! "

    Et personne n’a cherché à savoir pourquoi elles lui avaient été réellement faites, ni pourquoi il les avait refusées.

Partie : Lettre au journal Sud Ouest    Lettre au garde des Sceaux  Le résistant    CV 
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